Petit-fils du célèbre Djeli Baba Sissoko, le « chef des griots maliens » disparu en 2001, Makan Badjé Tounkara porte bien haut l'héritage familial avec ce splendide album. Qui n'est pas tout à fait le premier d'ailleurs. Les amateurs de sono africaine se souviendront l'avoir déjà entendu sur les deux disques de sa tante, Mah Damba.
Comme son grand père, Makan Badjé Tounkara joue le luth djeli n'goni, dérivé de l'instrument joué par Demba dans le récit légendaire des griots Peuls. Grâce à l'adjonction de cordes supplémentaires, Badjé offre à l'instrument de nouvelles possibilités et lui permet d'aller dans des registres inhabituels, épaulé par les calebasse, djembé, tambour d’aisselle tamani. La virtuosité du musicien se mesure tout particulièrement sur les pièces qui laissent une large place aux improvisations instrumentales : N'goni Kan, Tata, Togna... Mais également dans la deuxième partie de Massaya, lorsque les doigts agiles de Badjé courent à vive allure sur les cordes aigües de son n'goni trafiqué, de sorte que l'on se prenne parfois à le confondre avec une kora.
Le Chant du n'goni est une prouesse technique et musicale, tant d'un point de vue rythmique que mélodique. L'occasion de retrouver une devise musicale fort appréciée par Badjé, qui l'utilisait déjà, mais un peu différemment, sur le titre Mali Gundo figurant sur le second album de Mah Damba, A l'ombre du grand baobab. Etoffé ça et là de chœurs féminins tout à fait magnifiques, de voix qui caressent l'oreille sur un titre comme N'ganou. L'album est surtout remarquable de citations blues, de syncopes ternaires et autres riffs made in Chicago. Un titre comme A yé wili constitue un véritable régal en la matière !
Nous sommes servis également en termes de poésie. Le titre Kakolo est une petite merveille : « Tel un éléphant il a refusé/Celui qui a dit non ne peut plus revenir en arrière/[…] Prendre la femme de quelqu'un/Ou essayer de prendre son territoire/Peut courroucer Dja Diri de Kakolo/Je jure devant Dieu/Que Dja Diri de Kakolo peut refuser/Qu'il a refusé... ». Ou comment exprimer l'opiniâtreté de celui qui place la défense de la terre qu'il a reçue en héritage au-dessus de sa propre vie !
Makan Badjé, qui accompagne régulièrement Salif Keïta, Baaba Maal ou Ami Koïta, signe ici un album frais, fouillé et au mixage impeccable, certainement l'une des plus belles trouvailles ouest-africaines du moment. La folk star Piers Faccini ne s'y est pas trompé qui l'invitait l'hiver dernier pour la création du festival de la Seine-Saint-Denis Africolor The River.
Par Mathieu Rosati | akhaba.com